En marge du Forum de la Mer: Réflexions autour de l'absence d'une politique maritime

Forum de la mer
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Sous un chapiteau bâti pour l'occasion, sur le magnifique site littoral d'El Haouzia, le forum de la mer a tenu sa première édition dédiée au développement durable.Un patchwork de spécialistes était là: des marins bien sur, des écologistes, des juristes, des industriels, des plaisanciers, des journalistes et même un griot…

Les représentants du gouvernement ont quant à eux brillé par leur absence. Mais le département de l'aménagement du territoire était présent en force. Quant aux universitaires, ils étaient très peu nombreux. Il faut dire que le forum de la mer, comme son nom l'indique, a pour ambition de constituer l'événement phare de la cause "maritimiste" au Maroc.

A défaut d'un réel intérêt pour la chose, il a fallu rappeler à ceux qui l'auraient oublié que la mer constitue une partie essentielle de notre Histoire et de notre patrimoine. Le professeur  Leila Maziane était là pour le souligner mais aussi les nombreuses personnes qui ont partagé leurs histoires dans le domaine des énergies de la mer et de la pêche…

Le Forum de la Mer vient donc combler un sérieux déficit: celui d'un pays bordé de deux mers qui tourne le dos à un potentiel important de son développement. En effet, on en veut pour preuve le "déficit" législatif en la matière, l'absence d'une réelle stratégie de la mer et enfin l'éparpillement des compétences susceptibles de constituer un levier de développement du secteur maritime marocain.

Sur le plan législatif, nous n'avons pas de lois spécifiquement dédiée à la gestion intégrée des espaces maritimes. Le projet de Code maritime semble être abandonné et son livre trois relatif à la protection de l'environnement marin relégué aux oubliettes. Quant au projet de loi sur la protection des ressources maritimes, on en parle plus car comment peut-on séparer la ressource de son milieu en leur octroyant deux textes différents? Le projet de loi sur le littoral continue, lui-aussi, de susciter débat et discussions alors que pendant ce temps là, sur le terrain, les pelleteuses continuent de creuser... A quoi voulons nous que nos zones côtières ressemblent dans cinquante ans? Voilà la question qui vaut la peine d'être posée au cours de la prochaine édition du Forum de la Mer.

Le vide législatif en matière de gestion intégrée des ressources maritimes contraste avec le foisonnement des stratégies sectorielles manquant d'une réelle vision d'avenir pour le patrimoine maritime marocain.

Le Plan Halieutis vise ainsi à accroitre l'exploitation des ressources halieutiques en négligeant l'approche écosystémique des pêches qu'il ne prévoit pas.

Le Plan Azur (Vision 2020) encourage et développe les stations balnéaires en l'absence d'une loi qui constituerait un garde fou adéquat.

Le Plan Maroc Vert focalise sur la croissance du secteur agricole en oubliant de coordonner ses actions avec les acteurs des autres plans (notamment ceux du Plan Vision 2020). Agadir est un bon exemple de ce manque de coordination de plans sectoriels: cette zone souffrant de stress hydrique constitue le terrain de prédilection à la fois des stations balnéaires développées dans le cadre du Plan Vision 2020 et de zones maraichères, dont les récoltes sont dédiées à l'exportation, prévues par le plan Maroc Vert.

Ce débat n'a pas eu lieu au Forum de la Mer car les représentants de ces Plans n'étaient pas là. Mais au travers des interventions, l'absence d'une politique maritime a été soulevée à maintes reprises.

En effet, il suffit pour s'en convaincre de voir le cloisonnement des départements intervenants dans le secteur. La Marine Marchande et la Pêche, jadis opérant côte à côte, sont désormais déparés par la différence de leurs taches à tel point que les projets de lois qu'ils ont préparés sur la protection de l'environnement marin peuvent sembler caricaturaux.

Or s'il y a un domaine où la solidarité doit compter c'est bien celui du maritime notamment lorsqu'il s'agit de l'environnement marin. En effet, la protection de la ressource ne peut avoir lieu sans la protection du milieu et vice versa.

Toutes les conventions internationales que le Maroc a d'ailleurs ratifiées traitent de cet aspect. Cela s'appelle l'approche intégrée ou encore l'approche écosytémique et c'est le fondement de toute politique maritime. Le Forum de la Mer a appliqué à sa manière cette approche, même si tout le monde n'était pas de la fête. Ce n'est qu'une première édition après tout.

Le foisonnement des compétences constitue l'une des entraves majeures à l'absence d'une réelle stratégie maritime. En effet, une multitude d'intervenants opère dans le secteur. Il s'agit des départements gouvernementaux (Département de l'Equipement (Marine Marchande, Agence portuaire), Département des pêches maritimes, Département des Energies et des Mines, Département des Eaux et Forêts (intervenant dans les aires protégées y compris marines), Département du Tourisme (intervenant en zones côtières), Département de l'Eau (stations de dessalement), etc. Outre ces départements, la Marine Royale et la Gendarmerie Royale interviennent aussi en mer.

Par ailleurs, les régions, les provinces et préfectures et les communes ont des compétences en mer et/ou en zone côtière. En outre, plusieurs organismes, privés ou semi publics, opèrent dans le domaine maritime (DARPORT, MARSA MAROC, ONP, …) sans compter les agences spécialisées qui se sont développés ces dernières années (MARCHICA, BOU REGREG, etc.). Bref, le monde maritime attire une panoplie d'intervenants sans pour autant qu'il y ait une véritable politique qui ferait en sorte que ces opérateurs coordonnent leurs actions de manière à atteindre le développement durable. Certes, le Plan d'Urgence National déployé en cas de pollution marine s'appuie sur un dispositif de coordination des actions de l'Etat en mer, mais comme son nom l'indique, ce plan ne fonctionne que lorsque le mal est fait.

Comment ces actions peuvent elles s'imbriquer lorsque l'agence du littoral, prévue par la dernière version du projet de loi sur le littoral, sera mise en place? Faut-il également institué une agence maritime? Un ministère dédié à la mer?

En attendant, plusieurs dossiers, relevant du secteur de la mer, espèrent une issue que seule une vision stratégique peut tenter de trouver. Il s'agit notamment de l'accord de pêche avec l'Union européenne qu'on aurait tort de faire relever exclusivement du département des pêches, des frontières maritimes avec l'Espagne sur les côtes atlantiques mais aussi méditerranéennes, des conditions socioéconomiques des marins, de l'approche écosystémique des pêches, de la gestion des espaces littoraux y compris les ports, de la planification des espaces maritimes notamment dans la perspective du développement des énergies renouvelables (grands chantier du pays) en mer…

Gageons que la prochaine édition du Forum de la Mer sera l'occasion d'approfondir ces questions cette fois-ci en présence de toutes les parties prenantes. 

Samira Idllalène – Université Cadi Ayyad

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