Exportation : l'espagne déclare une "guerre économique" au maroc

Transport de Fret
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Le voisin ibérique a décidé d'imposer une amende pouvant aller jusqu'à 700 euros à tout transporteur de marchandises marocain dont la citerne contient plus de 200 litres de diesel. Cela oblige les Marocains à acheter 1 300 litres de gazole à des pétroliers espagnols. Pour plusieurs sources sectorielles, cette mesure vise à tuer le TIR marocain, à ralentir les exportations du pays et à miner la compétitivité du produit marocain. Le gouvernement s'est saisi de l'affaire.

Selon nos sources, la mesure est entrée en vigueur il y a six mois. Mais depuis deux mois, "elle a été appliquée avec beaucoup de zèle", déclare Idriss Bernoussi, président de l'Association marocaine du transport routier international (Amtri).

Elle consiste, en quelques mots, à pousser les transporteurs marocains à consommer du gazole espagnol. Dès qu'un camion en provenance du Maroc franchit les frontières espagnoles avec plus de 200 litres de gazole dans sa citerne, il est condamné à une amende pouvant aller jusqu'à 700 euros.

"Sur les 500 à 600 camions qui partent chaque jour pour l'Espagne, 30 à 60 camions marocains sont contrôlés chaque jour et paient en moyenne 500 à 700 euros d'amende pour dépassement de l'allocation de carburant", confie Ahmed Issaoudi, président de la zone sud d'Amtri.

Une arme concurrentielle réactivée par l'Espagne contre le Maroc

Cette franchise de carburant n'est pas nouvelle. Elle a été décidée en 1992 par l'UE dans un règlement visant à réglementer la concurrence entre les transporteurs au sein de l'espace communautaire.

Noreddine Eddib, directeur des transports terrestres et de la logistique au ministère des transports, a expliqué que ce règlement ne s'adressait pas seulement aux pays tiers, mais aussi aux différents pays de l'Union. "Les pays de l'Union européenne ont des tarifs différents pour le gazole, certains appliquent des réductions ou des tarifs préférentiels pour les transporteurs professionnels. Pour réguler la concurrence, l'Union européenne a introduit cette franchise, qui s'applique également aux pays tiers.

Mais elle n'a jamais vraiment été appliquée aux Marocains, car les Espagnols, qui sont notre premier contact avec le marché européen, ferment généralement les yeux sur cette situation. Aujourd'hui, nous constatons qu'ils ont décidé de réactiver ce règlement, ce qui a un fort impact sur le secteur des transports", explique-t-il.

Pourquoi maintenant ? Nos sources ont plusieurs interprétations. Certaines parlent de représailles contre les mesures prises par le Maroc pour arrêter la contrebande de Sebta et Melilla, tandis que d'autres parlent du contexte de crise qui pousse les Espagnols à vouloir contrer la concurrence que les Marocains font à leur production locale, notamment agricole. "L'Espagne est légale. Et nous n'avons rien à dire. Mais il y a des coutumes qui régissent nos relations dans le TIR, et l'Espagne a décidé de les rompre unilatéralement, ce qui a déclenché une véritable guerre commerciale et économique contre le Maroc", nous dit Bernoussi.

L'expression "guerre économique" revient dans la bouche de tous nos interlocuteurs. Car au-delà du surcoût que cette mesure représente pour les transporteurs, les impacts de cette mesure sont néfastes pour plusieurs pans de l'économie marocaine.

La compétitivité du produit marocain dans le viseur "C'est clairement une guerre économique", déclare Hassan Sentissi, président de l'Association marocaine des exportateurs, Asmex. "L'objectif est de freiner les exportations du pays, de mettre un frein à la compétitivité des produits marocains. Surtout dans le domaine de l'agriculture. Les Espagnols considèrent que le Maroc les éclipse sur le marché européen. Et ils veulent nous ralentir. Mais nous ne devons pas les laisser faire", nous dit-il, tout en admettant qu'il ne comprend pas la logique de nos voisins ibériques.

"L'Espagne est notre principal partenaire commercial. Tant en termes d'exportations que d'importations. Les Espagnols se tirent une balle dans le pied, car si nous décidons d'appliquer la réciprocité, ou de prendre des mesures défensives, ils seront les premiers à en souffrir. Je ne comprends pas leur logique. J'appelle donc les dirigeants espagnols à entendre raison. Parce qu'une guerre économique commence toujours par des mesures non tarifaires, mais nous ne savons pas comment elle peut se terminer", dit-il.

Son association, qui représente les exportateurs du pays, vient de déposer une plainte auprès du gouvernement ce lundi matin. "Nous avons écrit au ministre des transports et au ministre de l'industrie et du commerce parce que la situation est extrêmement préoccupante. Nous avons besoin d'une intervention au plus haut niveau pour résoudre ce problème", nous dit M. Sentissi. Les professionnels du TIR ont également approché le gouvernement et font pression au plus haut niveau du gouvernement pour une intervention urgente. Une première réunion a eu lieu le 1er octobre avec les transporteurs à l'initiative du ministère des transports. Des représentants du ministère de l'intérieur, des finances, de l'industrie... ont participé à cette réunion et la situation a été qualifiée d'"inacceptable", selon nos sources.

"Il s'agit d'une affaire hautement diplomatique. Le ministère des affaires étrangères est conscient de la situation et est régulièrement informé des développements. Il s'agit d'un dossier géostratégique. Et une action urgente est nécessaire au plus haut niveau de l'Etat avec l'UE pour résoudre le problème", nous a dit M. Bernoussi.

Le directeur des transports du ministère d'Abdelkader Aamara dit la même chose : "Ce dossier représente un grand risque pour l'économie du pays. Mais nous ne pouvons rien faire à notre niveau, car il s'agit d'une question diplomatique. Nous sommes en train de prendre des contacts officiels avec le ministère des affaires étrangères afin de lancer une action au niveau des organes de l'UE. Comme il ne s'agit pas d'une question bilatérale, elle ne concerne pas seulement l'Espagne, mais l'ensemble de l'UE", nous a-t-il déclaré. Selon lui, l'action de l'Espagne a également incité d'autres pays de l'UE, comme la France, à faire de même. "Je viens d'apprendre ce matin même qu'un transporteur marocain a été contrôlé à la frontière française. Et il a été doublement taxé parce qu'il est considéré comme un récidiviste de l'aile.

D'autres pays de l'UE feront bientôt de même. Notre diplomatie doit agir pour revoir les accords qui nous lient à l'UE, c'est la seule issue possible à cette affaire", souligne M. Eddib.

1,2 milliard de DH de manque à gagner pour les pétroliers marocains Les risques de réactivation de cette réglementation "du dernier siècle", comme l'appelle Hassan Sentissi de l'Asmex, sont de plusieurs ordres.

En activant cette franchise pétrolière, l'Espagne essentiellement (elle est la principale porte d'entrée du Maroc sur le marché de l'UE) agit directement sur le coût du transport des exportateurs marocains vers les marchés européens et indirectement sur l'ensemble de la chaîne économique.

C'est la compétitivité de l'ensemble des exportations marocaines vers l'Europe qui est affectée

"Le sujet ne concerne pas seulement l'agriculture, mais aussi les produits industriels, l'équipement automobile, le textile... Et tous les produits que le Maroc exporte vers l'UE", explique le président de l'association des transporteurs internationaux, M. Bernoussi.

Les pétroliers marocains vont également perdre beaucoup. Selon les calculs de l'association des transporteurs internationaux, cette limite de 200 litres prive les pétroliers marocains de 1.300 litres par camion, la citerne d'une unité routière étant de 1.500 litres. Le manque à gagner en termes de chiffre d'affaires des pétroliers marocains est estimé à 1,2 milliard de DH par an, selon M. Bernoussi. Ce chiffre correspond à peu près aux calculs effectués par la direction des transports du ministère, dont le directeur parle d'une perte de 148 millions d'euros, soit plus de 1,5 milliard

Argent qui sera injecté directement dans les caisses des pétroliers espagnols. "Sur la base du prix du diesel espagnol, qui est de 1,1 euros par litre, 1,6 milliards de DH seront transférés aux pétroliers espagnols. Et en devises étrangères...", déclare M. Bernoussi, qui estime que les compagnies pétrolières doivent également agir pour protéger leurs intérêts.

Le secteur TIR marocain menacé d'extinction

Un autre effet est l'impact dévastateur sur le secteur des transports. En effet, cette franchise crée un biais dans la concurrence entre les opérateurs marocains et espagnols. "Les Espagnols fabriquent du diesel au Maroc sans aucune restriction. Et ils le font aussi chez eux, avec des avantages que nous n'avons pas, car ils ont le droit de récupérer la TVA et les TIC. Ils ont également un tarif préférentiel pour le diesel professionnel. Le prix de revient pour eux est finalement de 7 DH le litre contre 12 DH (1,1 euro) pour nous", explique M. Issaoudi, président de la zone sud d'Amtri.

ICe biais de concurrence est également dû, comme le souligne M. Bernoussi, à l'absence de convention fiscale entre le Maroc et l'Espagne, contrairement aux conventions qui régissent les relations du Maroc avec la France.

"Un transporteur marocain qui prend du gazole en Espagne ne peut pas récupérer la TVA ou les TIC, en raison de l'absence d'une convention fiscale entre les deux pays. C'est une grande aberration qui nous pénalise fortement par rapport aux transporteurs espagnols", prévient-il.

Le directeur des transports du ministère va plus loin, considérant qu'avec cette franchise de carburant, le Maroc perd tout avantage concurrentiel par rapport aux Espagnols. "Jusqu'à présent, nous avions un avantage en termes de coûts de main-d'œuvre. Cet avantage est aujourd'hui largement compensé par cette franchise imposée aux transporteurs, ainsi que par l'impossibilité de récupérer la TVA et les TIC. Je peux même vous dire qu'un transporteur espagnol est désormais plus compétitif qu'un transporteur marocain", nous dit-il.

Et selon lui, cela risque de miner l'ensemble du secteur TIR, voire d'entraîner une série de faillites dans le secteur : "certains transporteurs risquent de faire faillite parce qu'ils ne seront pas en mesure de faire face à cette concurrence déloyale des Espagnols", prévient-il.

Le président d'Amtri, M. Bernoussi, partage les mêmes préoccupations de son service de contrôle. Il craint un remake du scénario de la Comanav, qui a signé la disparition du pavillon marocain dans le transport maritime.

"Les Espagnols sont aujourd'hui plus compétitifs que nous. Parce que l'effet travail est compensé par les avantages qu'ils ont sur le prix du gazole, le coût du crédit qui est moins cher que le nôtre et la taxe qu'ils nous appliquent aujourd'hui. Si cela continue ainsi, ils finiront par contrôler tout le TIR entre le Maroc et l'UE et feront disparaître les transporteurs marocains", explique-t-il.

La solution ? "Elle est exclusivement diplomatique", nous dit Eddib. "Nous avons des accords avec l'UE. Il est temps de les revoir, de rediscuter les termes de notre partenariat. Et cela doit passer par les Affaires étrangères.

Nous essayons à notre niveau de sensibiliser l'ensemble des acteurs, qui ne se sentaient pas concernés au départ par ce dossier, afin qu'ils prennent conscience des risques sur l'économie, la compétitivité du produit marocain et l'avenir du secteur IRT marocain", précise le directeur des transports du ministère.

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