Les administrateurs des affaires maritimes, de la notoriété à l’oubli

Marine Marchande
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La première administration ayant été investie de la prise en charge des secteurs de la marine marchande et des pêches maritimes, est née le 30 septembre 1920, sous forme de service rattaché à la Direction générale des travaux publics.

Lorsque ce service a été érigé en Direction à part entière en 1965, toujours sous la tutelle de la même administration, c’était pour confier ces secteurs à une structure administrative à la hauteur du rythme de leur croissance.

Cette dynamique a été accompagnée par la volonté de doter l’administration de cadres compétents, puisque les pouvoirs publics avaient décidé de procéder à la création d’un corps d'administrateurs de la marine marchande[1], ayant pour mission de gérer le secteur maritime sur les plans administratif et technique.

Selon les dispositions du dahir instituant ce personnel spécialisé, ce dernier est soumis au statut militaire et au régime de rémunération des Forces Armées Royales. Cependant, dans l’exercice de ses fonctions, ce corps est mis à la disposition du Ministre chargé de la marine marchande.

Les administrateurs gèrent les services centraux et extérieurs de la marine marchande et des pêches maritimes. Leurs missions s’articulent autour des volets technique, social, économique et administratif des affaires maritimes : recherche et sauvetage en mer, sûreté et sécurité maritimes, administration des gens de mer et des activités maritimes professionnelles, transport maritime, gestion des navires de commerce, de pêche et de plaisance, gestion des ressources halieutiques et aquacoles, polices de pêche et de navigation, environnement marin…

Quant à leur formation, le même dahir prévoit en particulier que « les administrateurs suivent pendant deux ans, en qualité « d’administrateur-élève » les cours d’une école d’administration maritime d’un Etat étranger ou de tout autre établissement assurant une formation équivalente… ». Le dahir fixe la hiérarchie et les grades des administrateurs, ainsi que la concordance avec les grades des officiers des Forces Armées Royales.

Plus d’une cinquantaine[2] d’administrateurs marocains, ayant servi et exercé leurs fonctions dans les départements en charge de la marine marchande ou des pêches maritimes, ont reçu leur formation en France, à l’Ecole d’administration des affaires maritimes[3], à Saint-Servan dans un premier temps et ensuite à Bordeaux où l’Ecole a été transférée.

La première promotion des administrateurs, au nombre de trois, (lauréats de l’Ecole d’administration des affaires maritimes de Saint Servan-France), recrutés en vertu du statut militaire de 1958, avaient été reçus par feu Sa Majesté le Roi Mohammed V. C’est dire l’importance que l’Etat marocain allait accorder au développement des compétences dans un secteur en pleine croissance.

Les enseignements dispensés à l’Ecole d’administration des affaires maritimes, au cours de la première année permettent aux futurs administrateurs de se familiariser avec la mer, par l’acquisition de connaissances en matière de navigation, de technique et construction du navire, de règles de barre et de route…, suivis de stages embarqués (navires de commerce, navires de pêche et navires spécialisés) et de stages pratiques auprès des professionnels exerçant dans des entreprises de pêche maritime, de transport maritime et d’activités connexes et portuaires.

La deuxième année était consacrée notamment à l’approfondissement des disciplines liées à l’économie des pêches, au commerce maritime, aux régimes sociaux des gens de mer, à la protection de l’environnement marin et à la règlementation maritime, nationale et internationale (notamment la sécurité et sûreté maritimes ainsi que le travail maritime).

L’interprétation des dispositions du dahir du 7 octobre 1958 permet de dire que les postes de direction au sein des départements en charge des pêches maritimes ou de la marine marchande, reviennent de droit aux administrateurs des affaires maritimes; ceci étant largement justifié par le fait que ces derniers reçoivent d’abord une formation spécifique qui les prédisposent à occuper ces postes où ils assurent des fonctions de direction, de synthèse et d’encadrement et contribuent à la conception des normes administratives relatives à la sécurité et sûreté maritimes, à la gestion des pêcheries, à la recherche et au sauvetage en mer, à la protection de l’environnement etc…

Le dahir du 7 octobre 1958 a été abrogé presqu’une vingtaine d’années après, par le dahir portant loi[4] en date du 19 septembre 1977 qui met fin au statut militaire des administrateurs des affaires maritimes. Dans la foulée, un décret en date du 4 octobre 1977 est venu instituer un statut particulier pour l’ensemble du personnel de la marine marchande[5] qui intègre les administrateurs des affaires maritimes. Un texte qui semble ignorer cette spécificité reconnue aux administrateurs des affaires maritimes et leur capacité à occuper des postes de haute responsabilité.

En 2010, dans le cadre d’une réforme administrative, un décret[6] crée ce qu’il désigne comme « corps interministériel d’administrateurs » commun à toutes les administrations, ce qui a constitué une nouvelle aberration privant l’administration maritime d’un corps particulier, possédant les compétences professionnelles spécifiques pour administrer un secteur complexe. Il en résulte que la qualité même d’administrateur des affaires maritimes est devenue un simple grade dans la hiérarchie du personnel de la fonction publique.

Ainsi, la décision du reversement des administrateurs des affaires maritimes dans le statut civil, suivi de leur intégration dans un cadre interministériel, s’est inscrite dans un processus de dilution de ce corps, aujourd’hui pratiquement disparu, pour ouvrir la voie à des profils sans formation en affaires maritimes. Encore plus aberrant, ces derniers se voient attribuées des responsabilités pour lesquelles ils n’ont pas été préparés, tant au niveau central qu’au niveau des services extérieurs.

En comparant « l’évolution » de notre administration maritime avec celle de certains pays, on constatera que tous les efforts menés depuis la fin des années 1970 et tout au long de la décennie 1980, en vue de bâtir une administration maritime forte, dotée de ressources pluridisciplinaires, regroupant des administrateurs des affaires maritimes, des officiers de la marine marchande, des ingénieurs et des universitaires issus de grandes écoles nationales et étrangères à vocation maritime, ont été réduits à néant.

C’est là l’aboutissement de tout un regrettable processus qui a fini par démunir l’administration des ressources humaines compétentes en mesure de relever les défis posés par le développement du secteur maritime.

Il est à préciser par ailleurs que depuis le début des années 1990, la formation des administrateurs a été abandonnée privant l’administration d’un personnel spécialisé qualifié. Il aura fallu attendre plusieurs années pour que l’administration se résigne à lancer une formation similaire dans le cadre d’un cycle spécialisé à l’Institut Supérieur d’Etudes Maritimes de Casablanca.

Bien que sanctionné par la délivrance du diplôme d'administrateur en affaires maritimes, ce profil reste orienté vers les métiers en relation avec le secteur de la marine marchande, alors qu’il aurait pu intégrer le secteur des pêches maritimes afin d’éviter le double emploi et d’économiser sur les deniers publics, suite au lancement en 2021-2022 d’un cycle similaire propre au secteur halieutique à l’Institut Supérieur des Pêches Maritimes d’Agadir.

Une approche qui laisse pendante la question de savoir si ces deux cycles séparés répondent aux besoins du développement du Maroc Maritime, à la lumière de la Vision royale pour un Maroc Atlantique, révélée dans le discours de commémoration du 48ème anniversaire de la Marche Verte, le 6 novembre 2023 (constitution d’une flotte marchande forte et compétitive et le développement de l’économie bleue).

La mise en œuvre des stratégies qui seront proposées dans cette perspective, est l’occasion idoine pour prendre rapidement les dispositions nécessaires en vue de revoir notre politique de formation de ressources humaines spécifiques, ouverte à tous les profils (universitaires, ingénieurs, officiers navigants …), leur permettant d’être outillés des compétences requises pour la gestion des multiples facettes du secteur maritime national tant au niveau de l’administration centrale, régionale et locale qu’au niveau des professionnels des secteurs privés. C’est aussi une opportunité pour ressusciter le corps des administrateurs des affaires maritimes dont les compétences et les attributions coïncident parfaitement avec la politique d’une administration possédant la ferme volonté de s’inscrire dans le cadre de la vision royale

 

[1] Cette décision fait l’objet du dahir n° 1-58-279 du 23 rebia I 1378 (7 octobre 1958), publié au bulletin officiel n° 2400 du 24 octobre 1958 (page 1752).

[2] Il s’agit d’une estimation, faute de statistiques officielles.

[3] Actuellement, le groupe porte le nom d’école nationale de la sécurité et de l’administration de la mer et comprend : l’école d’administration des affaires maritimes et l’école de formation des affaires maritimes. Il est basé au Havre.

[4] Dahir portant loi n° 1-77-279 du 5 chaoual 1397 (19 septembre 1977) abrogeant le dahir n° 1-58-279 du 23 rebia I 1378 (7 octobre 1958) portant création d’un corps militaire d’administrateurs de la marine marchande, publié au bulletin officiel n) 3389 du 12 octobre 1977 (page 1185).

[5] Décret n° 2-77-515 du 20 chaoual 1397 (4 octobre 1977) portant statut particulier de la marine marchande, publié au bulletin officiel n) 3389 du 12 octobre 1977 (page 1185).

[6] Décret n° 2.06.377 du 20 kaada 1431 (29 octobre 2010) portant statut particulier du corps interministériel des administrateurs (bulletin officiel n° 5898 en date du 9 décembre 2010, version arabe).